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    La lente conversion des entreprises africaines à la RSE

    Conscients du potentiel de développement des stratégies RSE, plusieurs États africains ont musclé leurs dispositifs respectifs afin de dépasser les simples effets d’annonce. Du côté privé, un mouvement de conversion à la RSE se dessine aussi, bien que le phénomène reste trop marginal en rapport aux standards internationaux. Une nécessité pour renforcer le bien-être et l’inclusion au travail, mais qui répond aussi à des enjeux environnementaux plus globaux : « La résilience face aux évènements imprévus », selon Valérie Noëlle Kodjo Diop de la BOAD ou encore une contribution pour « atteindre les objectifs (des pays africains) en matière de protection de l’environnement », selon Léonce Yacé, directeur général de NSIA Banque Côte d’Ivoire. 

    La RSE (responsabilité sociale et environnementale) est-elle un simple effet de mode ou un véritable game changer ? Légitime aux quatre coins du globe, la question se pose avec encore plus d’acuité en Afrique où le concept, s’il est depuis longtemps revendiqué par quantité de multinationales étrangères, demeure encore balbutiant au sein des groupes africains eux-mêmes, qui ont encore quelques difficultés à se l’approprier. À la fois riche en ressources naturelles, moins développé et soumis à des logiques de prédation internes comme externes, le continent semble pourtant réunir toutes les « conditions » pour devenir la terre d’élection des logiques RSE. De fait, les entreprises africaines se convertissent progressivement à ce nouveau paradigme, comme en témoigne l’institutionnalisation de la RSE à l’œuvre dans plusieurs pays du continent.

    Ainsi du Sénégal, où depuis 2008 les entreprises membres de l’initiative « RSE Sénégal » développent des actions en faveur de l’emploi des jeunes diplômés, de l’entrepreneuriat ou du leadership féminin. Certaines entreprises sénégalaises adoptent un code de bonne conduite, d’autres nouent un pacte anticorruption avec l’administration fiscale. En Tunisie, la loi du 11 juin 2018 a gravé dans le marbre la conciliation des entreprises avec leur environnement social, à travers la participation au processus du développement durable et la bonne gouvernance ; sous l’égide du gouvernement, un nouvel observatoire de la RSE examine les rapports remontés du terrain. Au Maroc, la Confédération générale des entreprises a élaboré une série de labels RSE. Et, un peu partout sur le continent, de nouvelles normes (ISO 14001, ISO 26000) d’investissements responsables changent les pratiques des entreprises africaines.

    BOAD, NSIA : ces banques africaines — publiques ou privées — pionnières sur la RSE

    Parmi ces groupes africains, les banques, en première ligne face aux enjeux sociaux ou dans le financement de la transition énergétique, sont souvent pionnières en matière de RSE. La Banque ouest-africaine de développement (BOAD) est ainsi la première institution du genre à avoir adopté, dès 2019, une démarche RSE. Articulée autour de onze axes sur une période cinq ans, la stratégie RSE de la BOAD vise, selon sa directrice innovation et développement durable, Valérie Noëlle Kodjo Diop, « à mieux répondre aux enjeux prioritaires qu’elle a identifiés et à contribuer de manière plus efficiente à l’atteinte des objectifs de développement durable (ODD) ». Une question de « survie à long terme » des entreprises africaines, selon la dirigeante, qui évoque aussi « la fierté d’appartenance » des salariés de la banque et parle de la RSE comme d’un « gage de pérennité qui améliore (…) la résilience face aux évènements imprévus, comme les catastrophes naturelles » dont la multiplication est favorisée par le changement climatique.

    En Côte d’Ivoire, NSIA Banque CI entend aussi soutenir une croissance durable. L’établissement, dirigé par Léonce Yacé, promeut l’investissement socialement responsable (ISR) et s’est, depuis deux ans, doté d’un système de gestion environnementale et sociale (SGES). NSIA s’interdit, par exemple, « de financer des projets présentant un risque environnemental et social irréversible », d’après son directeur. Léonce Yacé estime en effet que « le secteur bancaire sera incontournable pour une croissance durable et pour contribuer à atteindre les objectifs (des pays africains) en matière de protection de l’environnement ». Les efforts de NSIA Banque CI ont été récemment récompensés par l’obtention du label LUCIE, qui vient, toujours selon son dirigeant, « attester de l’engagement de la banque à œuvrer pour un développement durable prenant en compte des critères essentiels tels qu’une gouvernance responsable, le respect des individus, la qualité de vie au travail, la protection des ressources naturelles, l’éthique des pratiques, la responsabilité ou encore l’engagement pour l’intérêt général ».

    Des freins encore persistants à la massification des stratégies RSE

    Si certains groupes africains ouvrent volontairement la voie à une meilleure prise en compte des enjeux RSE sur le continent, d’autres secteurs s’y essaient de manière plus contrainte. C’est le cas, notamment, du secteur minier, l’un des plus critiqués par les ONG et militants, à la fois pour les dégâts qu’il occasionne sur l’environnement et par le peu de retombées qu’il génère en direction du tissu économique local. Autant de raisons pour lesquelles certains États africains renforcent leurs codes miniers et pétroliers — mais il s’agit, ici, davantage d’une contrainte réglementaire extérieure que d’une traduction en actes de convictions solidement ancrées dans l’ADN des sociétés en question. C’est pourquoi « il est temps », estime Jérémie Malbrancke, associé de classM, un cabinet d’études et de conseil opérationnel dédié au continent africain, « de changer de dynamique et certaines entreprises commencent à intégrer (la RSE) dans leur stratégie de croissance : une meilleure gestion de leur impact permet de stabiliser leurs opérations, de maîtriser les risques sociétaux, ou de renforcer leur attractivité sur les marchés ».

    Alors que les multinationales présentes en Afrique consacrent un budget RSE représentant 1 % à 3 % de leur chiffre d’affaires, cette « somme phénoménale (…) pourrait être utilisée de manière plus efficace pour générer un développement économique pérenne », conclut l’expert. Au-delà de ces aspects financiers, le principal frein au plein déploiement de la RSE en Afrique reste institutionnel, beaucoup de responsables politiques du continent n’ayant pas encore pris la mesure du potentiel de la RSE dans l’atteinte de leurs objectifs socio-économiques. « Ce manque de leadership s’accompagne d’un déficit de cadres politiques, juridiques et de programmes de soutien structurants », juge par ailleurs Placide Tagdine Dougah, du cabinet Valora Consulting, selon qui « il manque un signal pour les investisseurs. Et en l’absence de garanties institutionnelles et de leur soutien, l’accès au financement reste un défi majeur pour les porteurs de projets et les jeunes entrepreneurs en Afrique », estime le spécialiste, qui pointe aussi le risque de promesses et d’effets d’annonce non-suivis d’actes concrets. Autant d’écueils prévisibles, certes, mais surmontables si la volonté politique est au rendez-vous.

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