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    Retraites : la réforme est-elle « indispensable », comme l’affirme le gouvernement ?

    Après plusieurs semaines d’échanges avec les partenaires sociaux, la Première ministre Élisabeth Borne doit présenter le 10 janvier sa réforme des retraites, « indispensable », selon le gouvernement. France 24 donne la parole à l’économiste et spécialiste des retraites Michaël Zemmour sur les arguments avancés par l’exécutif pour justifier le bien-fondé de cette réforme.

    Emmanuel Macron l’a redit, samedi 31 décembre, lors de ses vœux aux Français : « Comme je m’y suis engagé devant vous, cette année sera en effet celle d’une réforme des retraites qui vise à assurer l’équilibre de notre système pour les années et les décennies à venir » et à « consolider notre régime de retraites par répartition ». Le président de la République et sa Première ministre se relaient depuis des mois dans les médias pour préparer les Français à une réforme des retraites douloureuse.

    La présentation détaillée du projet de réforme sera faite le 10 janvier par Élisabeth Borne, mais les grandes lignes sont déjà connues et la principale mesure devrait être le décalage progressif de l’âge légal de départ à la retraite, de 62 à 64 ans, voire 65 ans.

    Les raisons invoquées par le gouvernement pour engager cette réforme sont-elles justifiées et les arguments avancés pour demander aux Français de travailler plus longtemps sont-ils exacts ? Tour d’horizon des principales affirmations du couple exécutif avec l’économiste Michaël Zemmour, enseignant-chercheur à l’Université Paris 1, coauteur du livre « Le Système français de protection sociale » (éd. La Découverte).

    « Nous devons faire cette réforme » car « si on ne la fait pas, on laisse le système de retraite par répartition en danger. » (Emmanuel Macron, le 3 décembre sur TF1)

    Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), daté de septembre 2022, fait état d’excédents en 2021 (900 millions d’euros) et en 2022 (3,2 milliards d’euros), mais prédit un déficit du système des retraites en moyenne lors des 25 prochaines années. Selon l’estimation du COR, « entre 2023 et 2027, le solde du système de retraite se dégraderait sensiblement » pour atteindre un déficit de 0,3 à 0,4 point de PIB selon les scénarios – et resterait négatif au moins jusqu’en 2032. Ces quelques dixièmes de point de PIB représenteraient un peu plus de 10 milliards d’euros annuels pour un PIB de 2 500 milliards en 2021. Puis, après des déficits attendus jusqu’en 2032, des scénarios du COR prévoient un retour à l’équilibre progressif, sans aucune réforme, entre « le milieu des années 2030 » et « la fin des années 2050 », tandis que d’autres annoncent un solde négatif sur l’ensemble de la période 2023-2070.

    « Le rapport du COR montre bien que le système n’est pas en danger : presque tous ses scénarios prédisent un retour à l’équilibre du système, souligne l’économiste Michaël Zemmour. La vraie raison de cette réforme se trouve page 3 du programme de stabilité que la France a transmis à Bruxelles l’été dernier, poursuit-il. Il y est écrit noir sur blanc que la politique de baisse des prélèvements engagée par Emmanuel Macron sera compensée par des réformes structurelles comme celle des retraites. De cette manière, la France entend repasser sous la barre des 3 % de déficit d’ici 2027. Il ne s’agit pas de sauver le système de retraite, mais de financer des baisses d’impôts pour les entreprises. »

    « Les chiffres sont là, ils sont implacables. On a un déficit qui dépassera les 12 milliards d’euros en 2027 et continuera à se creuser. (…) Si on ne fait rien, nous aurons plus de 100 milliards d’euros de dette supplémentaire pour notre système de retraite dans les dix prochaines années. Donc on ne peut plus laisser filer la dette. » (Élisabeth Borne, le 1er décembre dans Le Parisien)

    « Il y a un discours politique qui vise à exagérer et à dramatiser la question du déficit pour laisser penser qu’il y aurait urgence à réformer le système alors qu’en réalité, le déficit annoncé est plutôt modéré », juge Michaël Zemmour.

    De fait, un déficit de 10 à 12 milliards d’euros par an pour un système de retraite dont les dépenses annuelles totales sont d’environ 340 milliards d’euros n’a rien d’insurmontable. Dans son dernier rapport, le COR s’est même permis un commentaire politique qui contredit les affirmations de l’exécutif : « Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite. »

    D’autant que la part des dépenses de retraites dans le produit intérieur brut (PIB) devrait rester à peu près stable, selon le COR. Ces dépenses passeraient de 13,8 % du PIB en 2021 à 13,9 % en 2027, avant d’atteindre une fourchette de 14,2 % à 14,7 %, selon les scénarios, de 2028 à 2032. À plus long terme, entre 2032 et 2070, la part qu’elles représentent par rapport à la richesse nationale « serait stable ou en diminution », « dans une fourchette allant de 12,1 % à 14,7 % » en 2070, anticipe le COR.

    Pour autant, le système de retraite sera bel et bien déficitaire dans les années à venir, ce qui peut justifier, politiquement, la nécessité d’une réforme. « Mais le niveau du déficit annoncé ne force ni à avoir une mesure d’âge, ni à mettre le système en excédent comme entend le faire le gouvernement », estime Michaël Zemmour.

    « Toutes les études sérieuses le montrent : les besoins de financement sont massifs et vont continuer de s’accroître dans les prochaines années (…), donc le seul levier que nous avons, c’est de travailler plus longtemps. » (Emmanuel Macron, le 3 décembre sur TF1)

    Pour réformer le système de retraite, il existe traditionnellement trois leviers : l’âge effectif de départ à la retraite, le niveau des pensions, le financement. Mais Emmanuel Macron exclut de toucher aux pensions ou d’augmenter le financement, ce qui ne lui laisse par conséquent que le paramètre de l’âge de départ à la retraite.

    « C’est le seul levier une fois qu’on a exclu tous les autres », plaisante Michaël Zemmour qui propose, dans une note de blog mise en ligne le 2 décembre, cinq pistes pour trouver 12 milliards d’euros d’ici 2027. Combinées, ces cinq pistes représenteraient même un total de 35 milliards d’euros.

    L’économiste spécialiste des retraites propose de revenir sur les exonérations de cotisations les moins utiles (2 milliards d’euros par an), de soumettre l’épargne salariale à cotisations retraite (3 milliards jusqu’en 2027), de ralentir le remboursement de la dette sociale issue de la crise du Covid-19 (10 milliards en 2027), de revenir sur la baisse de la CVAE promise aux entreprises (8 milliards d’euros par an dès 2024) ou d’augmenter les cotisations de 0,8 point d’ici 2027 (12 milliards d’euros de recettes).

    « On peut imaginer de nombreuses autres pistes, comme régler le problème du taux d’emploi des seniors, qui permettrait de récolter des nouvelles cotisations, ou demander un effort de cotisation plus important aux salaires élevés », ajoute Michaël Zemmour, pour qui « en réalité, les leviers ne manquent pas ».

    « Quand on compare la France avec tous ses voisins, nous avons de la marge, parce qu’on n’est pas le pays qui a l’âge légal ou la durée de cotisation la plus longue. » (Emmanuel Macron, le 3 décembre sur TF1)

    De fait, les Français partent en moyenne plus tôt à la retraite que la plupart de leurs voisins. Selon un rapport dressant un « panorama des systèmes de retraite en France et à l’étranger » publié en 2022 par le COR, l’âge moyen de liquidation des droits à la retraite en France était en 2019 de 62,6 ans pour les femmes et de 62,0 ans pour les hommes. La même année, cette moyenne était, pour les femmes, de 63,3 ans en Italie, 63,7 ans en Belgique, 64,3 ans en Espagne, 64,4 ans en Allemagne et en Suède et de 66,0 ans aux Pays-Bas. Pour les hommes, elle était de 62,5 ans en Belgique, 63,1 ans en Italie, 63,7 ans en Espagne, 64,0 ans en Allemagne, 64,4 ans en Suède et 66,0 ans aux Pays-Bas.

    « La précédente réforme des retraites n’a toutefois pas encore épuisé ses effets, on se dirige vers 64 ans », précise Michaël Zemmour. Votée en 2014 sous François Hollande, la réforme Touraine prévoit d’allonger progressivement la durée de cotisation à 43 annuités (pour les Français nés en 1973 et après) pour bénéficier d’une retraite à taux plein.

    « Avec cette réforme, nous voulons redonner toute leur place aux seniors dans l’entreprise. Quand on décale l’âge de départ à la retraite, cela accroît mécaniquement le taux d’emploi des seniors. Cela a été le cas avec le report de 60 à 62 ans. » (Élisabeth Borne, le 1

    er

    décembre dans Le Parisien)

    Effectivement, le taux d’emploi des seniors devrait augmenter en décalant l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 65 ans, mais cela ne signifie pas pour autant que la situation de tous les seniors se sera améliorée, selon Michaël Zemmour.

    « Quand on décale l’âge de départ, les gens qui ne sont déjà plus dans l’emploi n’en retrouvent pas, explique le spécialiste des retraites. C’est ce qui s’est passé lors de la précédente réforme. Il y aura donc un allongement du temps passé sans emploi avant la retraite, avec une explosion des taux des minima sociaux et des personnes en invalidité. Bien entendu, ces situations concernent davantage les ouvriers que les cadres. Pour les personnes de plus de 60 ans au chômage, c’est le sas de précarité avant la retraite qui va s’allonger. »

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